À propos de Joëlle Kuntz, résumé de son urbanology talk du 8 mars 2022.
Journaliste et historienne, Joëlle Kuntz est spécialisée dans l’histoire suisse et celle de la Genève internationale. Elle a écrit plusieurs livres, dont “L’histoire suisse en un clin d’oeil” et “Genève internationale - 100 ans d’architecture”.
“Genève est un lieu extraordinairement bizarre.”
Acte 1 - Les débuts
Joëlle Kuntz ne croit pas en un “esprit de Genève” particulier, mais plutôt à un enchaînement d’événements historiques complexes,recélant une certaine part de hasard et sans lesquels la ville aurait pu être “une autre Mulhouse”. Mais alors, pourquoi Genève? C’est avec ce tableau que Joëlle Kuntz ouvre le récit des origines de la Genève
internationale, du XV siècle à nos jours. “La pêche miraculeuse” est le premier tableau de l’histoire de l’art montrant un paysage non imaginaire: celui de Genève! Son auteur, le peintre Conrad Witz, rencontre son commanditaire, l’évêque de Genève, en 1442 au tumultueux Concile de Bâle(1431-1449), qui vise à restaurer l’unité malmenée dans la chrétienté. À l’époque, Genève est une ville prospère et indépendante, accueillant de nombreuses foires d’importance européenne. Son voisin, le duché de Savoie, qui vient de faire élire son duc à la position d’antipape contre le pape « officiel ». Il convoite Genève comme capitale. Le tableau de Witz, demandé par un évêque allié aux Savoie, donne l’image d’une Genève riche et désirable. Les relations plus ou moins cordiales entre Genève et la Savoie vont être profondément altérées par la Réforme en route.
La pêche miraculeuse, Konrad Witz, 1444
Acte 2 - La Réforme, Calvin et les huguenots
Après la prospérité, Genève vit une fin de XVe siècle difficile: la peste frappe, les foires déclinent et sont déplacées vers Lyon, les Médicis s’en vont. La Réforme protestante débute au première partie du XVIe siècle en Allemagne puis en Suisse. Berne et Zurich deviennent les premiers cantons protestants suisse, vite rejoints par d’autres. Pour Genève, la Réforme est une opportunité de se débarrasser de l’étau savoyard et de s’allier aux cantons protestants. La nouvelle constitution genevoise écrite par Calvin met en place une discipline rigide et terriblement efficace qui transforme rapidement les mœurs de la ville.
C’est avec la Saint-Barthélémy qu’est plantée la seconde graine de la Genève internationale. Les familles protestantes persécutées en France et en Italie y sont accueillies à bras ouverts, en premier lieu celles qui amènent avec elles connaissances et capital. Les plus engagées sont bientôt placées à des postes clés du gouvernement et de l’Eglise genevoise. En quelques décennies, l’élite locale est remplacée par une diaspora protestante française et italienne. Celle-ci garde cependant un fort réseau danses pays d’origine, ce qui met Genève au centre des élites économiques et académiques du monde protestant. L’essor des milieux banquiers doit beaucoup à cette liaison d’origine familiale et religieuse des réfugiés genevois avec leurs anciens compatriotes.
Jean Calvin (1509-1664)
Acte 3 - Parlons littérature
Le troisième volet du rayonnement international de Genève est porté par deux personnalités littéraires fortes du 18e siècle: Rousseau et Voltaire. Rousseau, fils d’horloger protestant, évolue dans une ville dominée par l’élite patricienne. À travers son père, il perçoit la société comme injuste et en déséquilibre, une perception qui nourrit son concept de Contrat social. Voltaire, parisien en conflit avec le pouvoir français, réfugié à Genève, inspire l’article sur Genève de l’Encyclopédie de d’Alembert, la bible des Lumières. Cet article, qui notamment dénonce l’absence de scène théâtrale à Genève, déclenche un débat homérique entre les deux écrivains et leurs partisans respectifs: Rousseau voit le théâtre comme un art corrupteur et défend au contraire les fêtes populaires tandis que Voltaire prend fait et cause pour le théâtre l’expansion comme élan de l’imagination et de la liberté.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) & Voltaire (1694-1778)
Acte 4 - Le souffle humanitaire
C’est à la fin du XIXe siècle que l’aventure humanitaire de Genève commence, par un hasard. Un jeune brasseur d’affaires, Henri Dunant, a besoin d’une autorisation de Napoléon III pour relancer ses moulins en Algérie. L’empereur est alors en Italie aux côtés des troupes françaises qui combattent contre l’Autriche. Dunant est pressé, il court à sa poursuite. Il arrive aux abords de Solferino au lendemain d’une effroyable bataille (1859). Il est frappé par l’horreur de dizaines de milliers de soldats blessés, abandonnés, mourants, sans aide. Il écrit une sorte de pamphlet, “Un souvenir de Solferino, publié en 1862, dans lequel il soutient l’idée qu’un soldat blessé est avant tout un être humain qui mérite de l’aide, quel que soit son camp. L’idée est alors révolutionnaire en Europe. Elle plaît à une partie de l’élite genevoise qui soutient activement l’idée d’une organisation dédiée. C’est ainsi que la Convention de Genève sur la protection des blessés de guerre est signée en 1864, et que le Comité international de la Croix-Rouge se met en place.
Pendant la première guerre mondiale, cette Croix-Rouge est très active sur les champs de bataille. A Genève, elle a mis sur pied au musée Rath, avec l’aide de centaines de Genevois bénévoles, la première agence internationale de recherche des prisonniers de guerre. Des familles de toute l’Europe affluent à Genève pour tenter de retrouver leurs proches disparus. Ces actions humanitaires valent reconnaissance et admiration des alliés, dont les Etats-Unis. Lorsque la décision est prise à la Conférence de Versailles de créer la Société des Nations , le président Wilson propose que Genève en soit le siège, inspiré par la présence de la Croix-Rouge, par la neutralité de la Suisse et, dit-on, par son protestantisme.
Henry Dunant (1828-1910)
Acte 5 - La Genève internationale, demain?
Le tâche d’une ville qui assume une fonction globale présuppose une évolution constante. Aujourd’hui, environ 30’000 personnes travaillent dans les organisations internationales. Avec leurs familles, c’est près de 10% de la population du canton qui est liée aux activités internationales. L’évolution s’opère bel et bien, non sans difficultés et tensions politiques. Car si la Genève internationale rapporte, en termes économiques, en terme de réputation, elle coûte aussi en termes d’investissements, de choix d’aménagements, d’affrontements entre les besoins locaux et les besoins internationaux.
Joëlle Kuntz le souligne: la Genève internationale est un apprentissage perpétuel du vivre-ensemble de deux communautés qui ne sont pas spontanément appelées à se connaître. Qu’en sera-t-il dans le futur? Des organisations internationales sont tentées de délocaliser certains services. Au niveau du gouvernement cantonal et fédéral, la question est toujours posée de savoir ce qu’on acceptera de faire pour continuer à garder à Genève ces organisations internationales qui sont si décisives pour la politique extérieure de la Suisse ? Bien des villes s’offrent à accueillir qui des organisations , qui des comités, qui des secrétariats pour des activités internationales dotées de prestige. La question de l’avenir de la Genève internationale n’est peut-être pas urgente mais elle n’est pas déraisonnable
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