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Tiers-lieux / Faire lieux


Article issu de la discussion urbanology du 24.03.2022.


L’objet du tiers-lieu échappe, il est rétif aux définitions.”

Vouloir isoler des éléments définissant un tiers-lieu est selon Arnaud une entreprise vaine. Une chose est claire: ce sont des espaces fragiles en constante évolution, en équilibre entre une volonté de créer une alternative aux logiques de marché et leur absorption/encaissement par ces mêmes logiques. C’est par un panorama de lieux que Arnaud nous fait sa propre définition. C’est aussi en montrant la diversité des lieux existants qu’on évite l’essentialisme et les concours de pureté qui minent les scènes alternatives et qu’Arnaud décrivait dans son premier article “Qui est l’alternatif de qui?”.

Pour comprendre leur diversité, il faut comprendre la généalogie des lieux et leurs objectifs. Certains lieux sont issus de la tradition du logiciel libre, d’autres du squat, d’autres encore de la permanence architecturale, de l’urbanisme transitoire, du coopérativisme ou des friches et lieux culturels indépendants. Ces généalogies ont un grand impact sur les lieux, même si de l'extérieur ils sont tous perçus comme appartenant à la même catégorie. Les objectifs des tiers-lieux varient aussi: certaines manières de faire tiers-lieu visent un réel impact social, d’autres sont des opérations de communications. Certaines ont du sens mais reproduisent des rapports de domination économique tel que la précarité. Et la plupart sont un mélange de ces typologies.

Les endroits présentés dans cet article sont souvent dans la petite couronne parisienne, en particulier dans sa partie est, le long du tram T310, qui traverse de grandes parcelles de zone industrielle. Ce sont ces “rebuts urbains” qui offrent l’opportunité de créer des lieux.


DOC!


Situé dans le 20e arrondissement de Paris, quartier défini comme prioritaire, DOC! a été fondé en 2015 dans un lycée professionnel qui avait été laissé à l’abandon depuis une décennie. dans un quartier défini comme prioritaire. Parti de l’impulsion de 7 personnes issues de l’école d’arts et de la scène squat, il.elle.s ont été rejoints en trois jours par 150 personnes et le lieu a perduré malgré la procédure lancée contre le groupe par la mairie locale.


Le lycée professionnel était truffé de machines de production, pas forcément en bon état mais réparables. Le DOC! est un commun artistique qui permet, grâce au partage des outils de production, d’atténuer la précarité d’artistes émergents. Les machines sont aussi mises à disposition des habitant.e.s du quartier pour un prix modique, afin de créer du lien avec les communautés locales.


Le DOC! s’organise et expérimente avec des formes de gouvernance et de participation. Une charte est crée et chaque membre s’engage à donner du temps au lieu: un chantier participatif par mois l’engagement dans un des pôles d’activité, que ce soit pour accompagner des personnes à apprendre l'utilisation d’outils ou dans un des pôles de diffusion.


La gouvernance est collégiale: 150 personnes se retrouvent pour des assemblées générales qui durent parfois 6h ou plus. Toutes les décisions sont prises ensemble, même si l’accent est mis sur le respect de l’expertise de celles et ceux qui font et qui savent. Le DOC! a aussi développé un système interne de demande de subvention qui permet de gérer un budget collectif. Le lieu ne reçoit pas de subventions publiques, sauf de la Mairie de Paris qui soutient les événements hors-murs.



La Station - Gare des Mines


L’association MU, fondatrice de la Station Gare des Mines, existe depuis 2002 et travaille à cette période sur l’art sonore dans les genres assez niche du post-punk, new-wave et de la découverte psycho-acoustique des territoires. La structure travaille dans les années 2000 sur 80% de subventions et 20% d’autofinancement généré par les boissons et prix libre lors des concerts.


En 2016, l’association gagne un appel à projet de SNCF immobilier. La SNCF est le troisième propriétaire foncier le plus important après l'Église et l'État en France. Dans l’objectif de diversifier son modèle économique et valoriser son foncier, elle lance le programme “sites artistiques temporaires”, un programme d’urbanisme transitoire qui vise une occupation de 6 mois de friches appartenant à la SNCF. Malgré la levée de boucliers de la scène artistique française devant les conditions de l’appel à projet, le collectif NU répond, et gagne. Dans les premiers 6 mois, durée originelle du contrat, elle met aux normes a minima l’endroit et - sans pouvoir faire de recherche ou des résidences, se met dans la diffusion et lance un “festival permanent”, de mai à octobre 2017. La programmation sort du post-punk et new-wave. La SNCF aime le projet et prolonge plusieurs fois le bail.


Quelques mots sur le contexte particulier de la Station. Elle se trouve aux portes d’Aubervilliers, dans un territoire qui incarne les contrastes et paradoxes d’une société de marché globalisée. On y trouvait :

  • Un garage automobile spécialisé dans les Jaquar

  • De nombreux.se.s travailleur.euse.s du sexe

  • Des personnes dépendantes de drogues

  • 2000 personnes migrantes

  • Le siège de Chanel

  • Une antenne du ministère de la justice

Au niveau de l’aménagement, la Station se compose d’un lieu public au rez-de-chaussée et d’un lieu de travail au premier étage.


À deux occasion, le collectif tente de se rendre utile auprès du camp de personnes migrantes et met le doigt sur des conflits d’usages: en 2017 lors de la canicule, alors que les robinets que les migrant.e.s utilisaient sont coupés, la Station sort une cuisine publique et des robinets, qui sont vandalisés le soir-même… par des habitant.e.s du quartier. L’action de la Station a révélé un ras-le-bol des habitant.e.s du quartier, qui en plus des personnes toxicomanes et des travailleur.euse.s du sexe ne voulaient pas que 2000 personnes se douchent en pleine rue. La seconde fois a été lorsqu’elle décide de construire, en chantier participatif, une cabane pour les mineurs et familles migrantes. Lorsque celle-ci est déposée sur le terrain du camp, la préfecture prend peur devant la construction et les migrant.e.s sont expulsé.e.s du terrain le soir-même. Encore une fois, la Station avait mis les pieds dans quelque chose qu’elle ne maîtrisait pas.

Leçon apprise: au lieu de travailler en régie directe, la Station se diversifie et délègue des programmes à d’autres collectifs et utilise son expérience pour aider la demande de subvention de jeunes associations. La stratégie est organique et l’attribution de nouveaux programmes se fait au fil des rencontres et pas par appels à projets publics.


Aujourd’hui, le lieu fait 1.7mio de recettes et a transformé son modèle économique en passant à 80% d'autofinancement et 20% de subventions. L’équipe passe de 2.5 équivalent temps-plein à 17 équivalents temps plein, plus le personnel temporaire (barmen, sécuritas etc.), ce qui crée une pression forte sur les personnes y travaillant.


La croissance rapide est source de questionnement. Une partie du collectif a l’impression que son activité a perdu son sens et le concept d’indépendance économique vis-à-vis des subventions étatiques est remis en question : n’est-ce pas remplacer une dépendance de l’Etat par une dépendance au marché, ce qui force à une édulcoration de la ligne artistique pour plaire au plus grand nombre?


Aujourd’hui, la Station a déménagé dans un lieu beaucoup plus grand en face de l’endroit originel. L’échelle du nouveau lieu pose une vraie question d’échelle et d’économie: pour qu’une soirée vaille le coup, il faut au minimum 1000 personnes. La programmation peut parfois craindre de faire des concessions à des enjeux de normes et de marche, mais le lieu se développe et est pérennisé.


Les Grands Voisins

On peut dire des Grands Voisins qu’ils ont un peu changé la ville de Paris, mais beaucoup le travail social en amenant le soin en cœur de ville. C’est en XX lors d’un moment difficile de la crise migratoire que la majesté de cette ancienne maternité, représentant 4 hectares d’emprise dans le 14e arrondissement, est transformée en un lieu hybride unique. Les Grands Voisins sont le fruit d’une convention quadripartite avec le propriétaire, réunissant de l’hébergement d’urgence pour femmes, hommes et familles, géré par l’association spécialisée Aurore, des activités culturelles et artisanales gérées par Plateau Urbain - une coopérative qui met à disposition des espaces vacants à des acteur.trice.s culturel.le.s et un dispositif d’accueil du public mis en place par Yes We Camp.


Les Grands Voisins voient dès leur débuts arriver 150 travailleur.euse.s : travailleur.euse.s sociaux, urbanistes, boulanger.ère.s etc. Cette hybridation permet des circuits économiques et d’insertion forts, comme par exemple le système “premières heures” qui permet de financer les premières heures de travail de personnes en situation d’urgence chez les artisan.ne.s. Les Grands Voisins amènent aussi un changement de statut de travailleur.euse.s sociales et des personnes en hébergement d’urgence, qui passent de l’existence en périphérie au centre-ville.


Il est clair que dans un projet du type, toutes les attentes et ambitions n’ont pas pu été remplies, notamment au niveau de la mixité des différents types de public. Mais l’intention de créer un “espace autorisant” - selon le concept de Yes We Camp - c’est à dire un espace où par le jeu de design, de signalétique, d’architecture, mobilier, couleur, récit, on fait comprendre aux usager.ère.s qu’elles sont les bienvenu.e.s et qu’il est possible de s’impliquer.


Les Grandes Voisins n’existent aujourd’hui plus, mais continue d’inspirer une nouvelle génération de tiers-lieux aux activités et publics hybrides.


Hôtel Pasteur


L’Hôtel Pasteur est un autre lieu emblématique situé dans l’ancienne faculté Pasteur de Rennes. N’étant pas né d’une impulsion de la société civile mais d’une commande publique de la Mairie de Rennes, l’Hôtel Pasteur se refuse le nom de tiers-lieu.

Cette commande publique hors norme est née de l’engouement de la Mairie de Rennes pour les méthodes de Patrick Bouchain, dont celle de la permanence architecturale. Sophie Ricard, élève de Patrick Bouchain, est engagée avec le mandat de dévoiler les potentiels usages du lieu. Au lieu d’une étude de faisabilité classique, elle propose une “étude de faisabilité en acte”. Pendant un an, elle n’a pas les clés de l’Hôtel Pasteur, mais elle va à la rencontre du tissu associatif et économique local en leur demandant ce qu’i.elle.s pourraient faire de ce lieu. L’imaginaire se construit et les concepts d’Université Foraine et d’Hôtel à Projet émerge à partir des intérêts existants, de quelques règles et de symboles.

3 Règles:

  • “Leave no trace”

  • Venir entre 3h et 3 mois

  • On peut déroger à toutes les règles précédentes.

Symboles:

  • Hôte: Le concept d’hôte en français est intéressant grâce à un double sens. Être hôte, c’est à la fois être accueilli.e et être accueillant.e. Le concept d’hôte de l’Hôtel Pasteur est que, indépendamment de si l’on est venu pour rester 3h ou 3 mois, on devient automatiquement un hôte et on fait partie de la gouvernance collégiale.

  • Une seule clé: au début, la personne qui fermait le lieu devait trouver la personne qui l’ouvrait le lendemain pour lui donner la clé. La clé faisait le lien. Enfer logistique qui a depuis été abandonné, la clé unique était un symbole très fort.

Grâce à un portage politique fort, une autre innovation importante de l’Hôtel Pasteur est celle de valoriser l’économie contributive dans les comptes réels en la quantifiant. À l’époque de l’étude sur l’économie contributive, celle-ci montrait que 30% du budget venait du budget de la commande publique pour le réaménagement du lieu, 30% était mis à disposition par la ville de Rennes et 30% venait de la valorisation en nature de l’économie contributive (ex : bénévolat). La ville de Rennes a accepté cette approche très novatrice, reprise par d’autres lieux dont le Sample, et qui illustre la capacité de ce genre de lieu à faire évoluer le fonctionnement des politiques publiques.

L’étude de faisabilité en acte a proposé comme résultat que le rez soit mis à disposition d’une école primaire, le 1er étage devienne un équipement public “Numérilab” et le second étage un lieu hybride appelé “école buissonnière''.


Sample


Un jour, un petit promoteur immobilier appelle Ancoats. Pour transformer son image et obtenir un permis de construire de la ville de Bagnolet, l’entreprise aimerait faire un tiers-lieux d’une de leur propriété à la Porte de Bagnolet. C’est cet appel qui donne naissance au Sample, dans une ancienne fabrique de guidons de vélo, puis d’enceintes. Le lieu est en assez mauvais état mais a beaucoup de charme.


Inspirés par l’hôtel Pasteur, Ancoats propose une étude de faisabilité en actes et reçoit les clés du lieu. Les travaux de remise aux normes sont estimés puis commencent de manière participative. Le résultat de cette exploration est une programmation par plateau. L’été, le Sample est un lieu de diffusion culturelle du jeudi au dimanche, opérant grâce à une péréquation financière fine, sans subventions. Il s’agit de trouver un équilibre entre les programmes qui perdent de l’argent mais sont intéressants et nécessaires et ceux qui en rapportent. Le jeudi, le Sample est mis à disposition des associations locales, en général à perte mais pour des événements porteurs de beaucoup de sens et d’ancrage.


Vendredi est le lieu de la programmation des organisateur.ice.s du Sample et le samedi, il.elle.s invitent des collectifs du Grand Paris qui font en général salle comble. Le programme du dimanche est orienté famille, avec des jeux pour enfants, ce qui leur donne aussi une place dans ce lieu - fait rare pour les tiers-lieux.

À l’intérieur du Sample se trouvent un espace d’exposition, un restaurant et une salle de concert, des ateliers avec résident.e.s, et un plateau de 500m2 mis à disposition des différentes associations locales. Un des bâtiments, beau mais en trop mauvais état pour être utilisé continuellement, est loué pour des films, ce qui rapporte 10% de budget. Les résident.e.s ont été choisis pour pouvoir utiliser en commun certaines machines et éventuellement répondre à des appels d’offres ensemble afin de générer de l’économie à l’échelle du bâtiment. Ces usages différents permettent de donner au lieu un ancrage fort. Le Sample a encore de beaux jours devant lui.



Conclusion

De la résidence urbanology qu’Arnaud a effectuée à Genève est né un article qu’il a publié sur … Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à y jeter un coup d'œil !


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